Le 21 février, l’Assemblée Nationale a adopté la loi sur le devoir de vigilance des multinationales. En vertu de cette loi, les plus grandes sociétés françaises seront dorénavant tenues d’évaluer et de prévenir les impacts négatifs qu’ont leurs activités sur l’environnement et les droits humains. Cela inclut les impacts résultant de leurs propres activités mais aussi celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants avec lesquels elles ont une relation commerciale établie.

La loi donne aux victimes et aux autres parties concernées la possibilité de saisir un juge. Celui-ci peut imposer une amende allant jusqu’à 30 millions d’euros, et engager la responsabilité de l’entreprise si un dommage se produit, dans le cas où il aurait pu être évité par un « plan de vigilance » adéquat.

Nous saluons cette loi et la considérons comme une avancée importante pour un plus grand respect des droits humains et de la planète.

Nous regrettons qu’un groupe de députés et sénateurs ait immédiatement saisi le Conseil constitutionnel, dans une tentative de la dernière chance d’invalider la loi après avoir perdu la bataille législative démocratique. Leur opposition à la loi se fait écho à celle des lobbys des entreprises – en particulier le Medef et l’AFEP – contre la responsabilisation juridique des multinationales.

Une approche raisonnable pour un secteur privé davantage responsable

Nous croyons fermement en l’importance et la validité de cette loi. Elle est une réponse concrète aux engagements pris par la communauté internationale, notamment au travers des Principes Directeurs des Nations Unies relatifs auxEntreprises et aux Droits de l’Homme. Le concept de vigilance – proche de celui de « due diligence » au centre de ces Principes Directeurs – est un concept juridique établi et largement utilisé en France et dans d’autres juridictions. L’obligation de moyens – et non de résultats – que crée la loi est une approche raisonnable pour un secteur privé davantage responsable. Les entreprises se montrant compétitives savent qu’il est impératif d’anticiper et de gérer les risques extra-financiers. Celles ayant déjà mis en place des mesures de vigilance ne devraient pas être soumises à la concurrence déloyale d’entreprises irresponsables. La loi contribuera à des conditions plus équitables pour tous.

Les violations de droits humains et les dommages environnementaux les plus graves ont trop souvent lieu dans les filières d’approvisionnement en toute impunité. Cette situation est inacceptable pour une large majorité de citoyens. Le G7, le Conseil Européen, le Parlement Européen et l’OCDE ont souligné l’importance et l’urgence de progresser vers des chaînes d’approvisionnement plus responsables. Les réponses des entreprises et du marché se sont avérées insuffisantes malgré les efforts de certaines entreprises et certaines initiatives sectorielles. Il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes : les activités des entreprises s’étendent de manière transnationale, mais le cadre juridique national et international ne reflète pas cette globalisation. Cela permet à des entreprises européennes d’échapper à leurs responsabilités pour des dommages dans leurs filières.

Un pas décisif vers de futures convergences en Europe

Face à ce cadre international ou européen insuffisant, il en revient à des États pionniers de tracer la voie. La France en a souvent apporté la preuve. Ainsi la loi de 2010 sur le reporting extra-financier – combattue par le secteur privé français sous prétexte qu’elle amènerait un désavantage concurrentiel et des charges administratives supplémentaires – a rapidement inspiré la Directive Européenne de 2014, qui s’applique aujourd’hui à plus de 7 000 entreprises européennes.

Il est probable que la loi sur le devoir de vigilance aura un effet d’entraînement similaire. La France n’est pas le seul pays européen s’efforçant d’améliorer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Des avancées législatives ont été enregistrées, ou sont en cours de discussion, notamment au niveau de l’Union européenne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Suisse. La loi française sera un pas décisif vers de futures convergences.

L’Union européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins. Il est impératif de remettre les droits humains au centre de son projet politique et économique. Avec cette réforme, le gouvernement et le législateur français ont témoigné du courage politique et du leadership qui permettra de construire une nouvelle Europe.

Une réforme historique à soutenir

Nous espérons que le Conseil constitutionnel ne s’alignera pas sur les objections d’une minorité de députés et sénateurs à un texte qui est le résultat d’un processus législatif de qualité. Les droits humains et la protection de l’environnement devraient toujours primer sur les intérêts commerciaux. La décision du Conseil aura une incidence sur la vie de millions de personnes au sein des filières d’approvisionnement mondiales.

Nous encourageons le secteur privé français à soutenir publiquement cette loi, comme l’ont déjà fait certaines entreprises.

Nous exhortons les législateurs de tous partis politiques à se placer du côté de la majorité des citoyens et à soutenir cette réforme historique. L’heure est venue de travailler ensemble, avec les entreprises, à sa mise en œuvre effective ; et à travailler avec d’autres gouvernements en vue de promouvoir d’autres réformes dans l’Union européenne et au niveau international.

Organisations européennes : Association Européenne pour la Défense des Droits de l’Homme, Bureau Européen de l’Environnement, CEE-Bankwatch Network, CIDSE, Confédération Syndicale Internationale, European Coalition for Corporate Justice, Fairtrade Advocacy Office, Friends of the Earth Europe, Jesuits European Social Center.

Organisations internationales: ActionAid, Anti-Slavery International, Business & Human Rights Resource Centre, Clean Clothes Campaign, Fairtrade International, Fédération Internationale des Droits de l’Homme,Greenpace, Confédération européenne des syndicats , Shipbreaking Platform,

Organisations nationales: Christliche Initiative Romero, CorA - Netzwerk fur Unternehmensverantwortung, FEMNET, Forschungs- und Dokumentationszentrum Chile-Lateinamerika e.V., Südwind (Allemagne Germanwatch, Prof. Markus Krajewski - University of Erlangen-Nürnberg (Allemagne), Netzwerk Soziale Verantwortung (Autriche), CNCD-11.11.11, Centrale Nationale des Employés, Confédération des Syndicats Chrétiens, Constituante.be (Belgique), Above Ground, Canadian Network on Corporate Accountability (Canada), Prof Antoni Pigrau - University Rovira i Virgili, Indago S.Coop, Observatorio de Responsabilidad Social Corporativa, Research Group on Private International Law and Human Rights, Sustentia Innovacion Social (Espagne), Advocacy for Principles Action in Government, Coalition of Immokalee Workers, Forum Nobis PPLC, Hausfeld & co LLP, Interfaith Center on Corporate Responsibility, International Corporate Accountability Roundtable, Verité (Etats-Unis), Liberty Asia (Hong Kong), Assoc Prof Angelica Bonfanti – University of Milan, FOCSIV, Human Rights International Corner, Mani Tese, Marco Fasciglione - IRISS-CNR, Saltamacchia Law Firm (Italie), Mark B. Taylor - FAFO Research Foundation, The Norwegian Forum for Development and Environment (Norvège), The India Committee of the Netherlands, Prof. Cees van Dam - Erasmus University Rotterdam, SOMO (Pays-Bas), Polish Institute for Human Rights and Business (Pologne), Frank Bold (République Tchèque), AUR - National Association of Human Resources Specialists, RENASIS - Romanian Anti-Poverty and Social Inclusion Network (Roumanie), CARE International UK, CORE Coalition, Freedom United, Traidcraft (Royaume-Uni), Actares, Pain pour le Prochain, Brücke-Le pont, Fastenhopper-Action de Carême, HELVETAS Swiss Intercooperation, Humanrights.ch, Nouvelle Coordination Paysanne Suisse, Public Eye, Société pour les peuples menacés, Solidar Suisse (Suisse).