Collectif Éthique sur l’étiquette

Le Myanmar : nouvelle terre de production textile… et de violations des droits humains au travail

Rapport sur les mauvaises conditions de travail dans les usines textiles birmanes

SOMO, le centre de recherche néerlandais sur les entreprises multinationales, et les ONG birmanes Action Labour Rights (ALR) et Labour Rights Defenders & Promoters (LRDP), viennent de publier le 5 février dernier un rapport "The Myanmar Dilemna. Can the Myanmar garment industry deliver decent jobs for workers ?" qui met en lumière les violations des droits humains dans le secteur de la confection textile au Myanmar (ex-Birmanie), récemment ouvert au commerce international et nouvel eldorado des grandes enseignes et marques européennes pour sa main d’œuvre à bas coût.

Après des décennies de dictature militaire et d’isolement économique par des sanctions internationales, le commerce avec le Myanmar connaît aujourd’hui une croissance rapide, notamment dans le secteur textile. Les bas salaires du pays et les conditions tarifaires favorables aux exportations font de cette fragile et naissante démocratie un centre mondial de la production de vêtements. Grandes et moins grandes marques et enseignes européennes d’habillement sont tentées d’en faire la prochaine escale de leur course vers le bas, sans scrupule vis-à-vis des mauvaises conditions de travail. Le développement de zones industrielles a également causé des violations du droit foncier.

SOMO, ALR et LRDP ont mené des enquêtes dans 12 usines qui fabriquent les vêtements pour des marques internationales telles que Muji, H&M, C&A ou Primark, et se fonde sur les témoignages de 400 travailleurs de ces usines dont une très large majorité de femmes. Ils se sont également entretenus avec des propriétaires d’usine, des représentants de marques de vêtements, d’initiatives multipartites, d’organisations d’employeurs, d’ONG et de syndicats locaux et internationaux. Le rapport rend compte des violations des droits fondamentaux au travail dans l’industrie du textile, de mauvaises conditions de travail, de bas salaires (50 euros par mois), d’heures supplémentaires impayées, de travail effectué par de jeunes travailleurs de 15 ans, de violations des droits d’organisation et de négociation collective et de la liberté syndicale, mais aussi de violations des droits fonciers par les militaires qui accaparent les terres agricoles pour y implanter de nouvelles zones industrielles textiles.

Si quelques travailleurs se risquent à porter plainte ou à dénoncer publiquement ces violations et leurs mauvaises conditions de travail, l’immense majorité d’entre eux subit en silence une exploitation quotidienne. Celle-ci tend à s’aggraver malgré la démocratisation naissante et la volonté du nouveau gouvernement de mettre en vigueur une législation qui respecte les normes internationales relatives aux droits humains, alors le pouvoir des militaires sur la société reste prépondérant dans tous les domaines et le risque de violations des droits fondamentaux est encore très élevé.

Les multinationales de l’habillement qui s’approvisionnent au Myanmar ont une responsabilité d’autant plus conséquente de s’assurer que leur activité ne contribue pas à l’aggravation d’une situation qui fragilise les travailleurs birmans. Leur activité économique et leur recherche du profit ne peut profiter d’Etats défaillants au sortir de situations politiques complexes. Plus qu’ailleurs, elle sont le devoir de mettre en oeuvre leur obligation de vigilance, en identifiant et en prévenant ces risques avant de commencer toute relation commerciale. Pourtant, comme le démontre le rapport "The Myanmar Dilemna", elles sont nombreuses à non seulement ignorer cette responsabilité mais aussi à sacrifier les droits sociaux fondamentaux à la recherche du profit. .

Lire le rapport " The Myanmar Dilemna"

EN SAVOIR PLUS

 Le Myanmar : nouvelle terre de production textile
Le Myanmar est très attractif pour les multinationales du textile en raison de sa main d’œuvre à très bas coût et de conditions tarifaires favorables aux exportations. Il est devenu un centre de production encore meilleur marché que d’autres pays tels que la Thaïlande, le Cambodge, la Chine ou l’Indonésie. Les fabricants asiatiques se ruent là bas dans une recherche du moindre coût et du moins disant social, poussés par des enseignes et des marques internationales impatientes de garantir l’approvisionnement le plus rentable. Près de la moitié des usines de confection implantées au Myanmar sont détenues par des investisseurs étrangers ou par des joint-ventures entre entreprises locales et étrangères. La plupart d’entre elles sont chinoises, coréennes, taïwanaises ou japonaises.

 12 usines, 403 travailleurs interviewés
En collaboration avec les ONG ALR et LRDP, SOMO a mené l’enquête dans douze usines dont huit qui appartiennent à des propriétaires étrangers. 400 travailleurs y ont été interviewés entre février et juin 2016, dont une très large majorité de femmes. Des entretiens ont par ailleurs été menés avec l’association de fabricants de vêtements du Myanmar (Myanmar Garment Manufacturers Association), la Fair Wear Foundation, l’Ethical Trading Initiative, des ONG locales et des syndicats locaux, des propriétaires d’usine et des représentants des marques.

Les résultats de la recherche ont été présentés aux marques et enseignes mentionnées dans le rapport avant sa publication. Beaucoup d’entre elles n’ont pas souhaité, ni pris la peine de répondre. Celles qui ont réagi reconnaissent l’existence de nombreux problèmes mais manquent d’une approche convaincante pour les résoudre.

Voir les réponses de H&M, C&A et Primark dans les documents à téléchargés

 Violation des droits humains fondamentaux et mauvaises conditions de travail
Les recherches et les témoignages des 400 ouvriers ont permis de mettre en lumière des violations importantes des droits au travail et des droits humains.

- Faibles niveaux de syndicalisation : plus de deux tiers des travailleurs interrogés ont dit ne pas savoir ce qu’est un syndicat et ne pas avoir connaissance du droit à liberté syndicale et à la négociation collective. Les mieux informés ont indiqué qu’il était impossible de former un syndicat au risque d’être sanctionné par la direction.

- Salaires faibles et retenues illégales  : Le salaire minimum légal du Myanmar est de 3 600 kyat par jour, soit 2,48 euros. Ce qui est insuffisant pour garantir un niveau de vie décent. Les travailleurs sont contraints de s’endetter pour subvenir à leurs besoins fondamentaux et /ou de prester des heures supplémentaires lesquelles sont très souvent non payées.

Dans la plupart des usines, un jour d’absence, même en cas de maladie ou de blessure, signifie une diminution de salaire. Les travailleurs sont donc contraints d’aller travailler s’ils veulent percevoir leur salaire. Ce système de déduction imposée qui est apparenté à du travail forcé selon la convention de l’Organisation Internationale du Travail sur le travail forcé.

- Travail des enfants : Toutes les usines concernées par la recherche employaient des travailleurs âgés de moins de 18 ans. Dans la moitié d’entre elles, des travailleurs ont témoigné avoir été embauché avant l’âge de 15 ans. Ce qui constitue une violation de la loi locale et des normes du travail internationales portant sur le travail des enfants.

- Absence de contrat de travail  : Près de la moitié des travailleurs interviewés n’avaient pas signé de contrat de travail et dans quatre des 12 usines plusieurs cas de travailleurs journaliers ont été identifiés. Leur emploi est très précaire puisqu’en l’absence de contrat, ils peuvent être licenciés très facilement, ne sont pas couvert par le système de sécurité sociale et sont payés au niveau de salaire de base parfois en-deçà du salaire minimum.

- Pas de mécanismes de plainte  : il est quasi impossible pour les travailleurs de discuter ou de se plaindre de leurs conditions de travail auprès de leurs employeurs par peur de répression et en l’absence d’un mécanisme de réclamation fiable.

 Violations des droits fonciers et accaparements de terre

La situation politique et socio-économique au Myanmar est toujours très instable du fait d’une intervention omniprésente de l’armée dans les affaires économiques profitables au pays. L’expansion de l’industrie textile et la multiplication des lieux de production entraînent des violations des droits fonciers par l’armée qui accapare les terres agricoles pour y construire des zones industrielles et des Zones Economiques Spécialisées (ZES) sans compensation. Dans l’une des 12 usines ciblées par la recherche située dans une ZES, des éléments de preuve montrent que le développement de cette zone s’est accompagné de violations sérieuses du droit à la terre.


Documents à télécharger

Télécharger  Rapport SOMO, janvier 2017 : "The Myanmar Dilemna. Can the Myanmar garment industry deliver decent jobs for workers ?" (version anglaise) Télécharger  Résumé du rapport SOMO, janvier 2017 : "The Myanmar Dilemna. Can the Myanmar garment industry deliver decent jobs for workers ?" (version anglaise) Télécharger  La réponse de Primark au rapport SOMO Télécharger  La réponse de H&M au rapport SOMO Télécharger  La réponse de C&A au rapport SOMO Télécharger  Résumé du rapport SOMO, janvier 2017 : "The Myanmar Dilemna. Can the Myanmar garment industry deliver decent jobs for workers ?" (version française)