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EnquêteMonde

Coupe du monde 3 – 0 Environnement

Alors que l’équipe de France dispute samedi un match en Coupe du monde contre l’Argentine, Reporterre s’est penché sur les impacts environnementaux et sociaux de ce sport. L’environnement subit une sévère défaite.

Qu’on se le dise, la tendance de l’écoblanchiment n’a pas épargné le monde du football. Depuis quelques années, la Fifa (Fédération internationale de football association) se dit soucieuse de l’empreinte écologique qu’elle laisse sur la planète et multiplie les « projets verts » pour compenser ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Du côté des équipementiers sportifs, même son de cloche : les géants de l’équipement sportif comme Nike et Adidas tentent de verdir une image très souvent trainée dans la boue. Du vestiaire aux gradins et à la pelouse, voici une liste non exhaustive des réalités environnementales et sociales dissimulées par les paillettes.

2,1 millions de tonnes de gaz à effet de serre rejetées pour la Coupe du monde en Russie

La compétition en est encore à ses débuts. Impossible, donc, de connaître son empreinte carbone réelle. Mais les experts commissionnés par la Fifa estiment que l’événement devrait dégager l’équivalent de 2,1 millions de tonnes de CO2. Près des trois quarts de ces émissions seraient générés par le transport des supporteurs, des joueurs et du personnel organisateur. À titre de comparaison, la Coupe du Monde 2010, qui se déroulait en Afrique du Sud, avait selon le ministère de l’Environnement sud-africain rejeté 2,8 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent de la somme des émissions annuelles d’un million de voitures.

La Fifa s’est fixé plusieurs objectifs environnementaux ambitieux — trop ambitieux ? — pour montrer à la terre entière qu’elle prend le problème au sérieux. Ne pouvant empêcher le CO2 de se disperser dans l’atmosphère, la Fédération se propose de compenser son impact carbone en choisissant de ne pas rejeter de GES ailleurs quand elle peut s’en passer. Elle s’engage également à financer des projets pauvres en émissions. Paradoxalement, ce sont les logos de Gazprom, Hyundai Motor ou encore Qatar Airways qui défilent pendant les matchs le long de la pelouse…

Herbe naturelle ou synthétique : deux impasses

La pelouse, justement, n’a de vert que sa couleur. Celle de la Coupe du monde est végétale, mais dans de nombreux stades à travers le monde, les crampons des footballeurs ne piétinent plus la terre mais des chutes de pneus usagés, qui constituent une pelouse synthétique. Fabriqué à partir de fibres plastiques et de granulats de caoutchouc, ce « faux gazon » permet aux sportifs de pratiquer leur discipline sans se soucier ni de l’entretien ni des aléas climatiques pouvant affecter les pelouses traditionnelles.

Cependant, une étude réalisée par un chercheur de l’université étatsunienne de Yale a montré que ces billes — qui ne sont ni plus ni moins que des résidus transformés du pétrole — contenaient 96 substances chimiques différentes, dont 40 % étaient nocives pour le système respiratoire et oculaire, et 20 % étaient classées cancérogène probables.

Faut-il alors retourner à la pelouse naturelle ? Oui, mais celle-ci n’est pas forcément meilleure pour l’environnement. Le magazine So Foot s’est posé la question. Son enquête a comparé l’empreinte écologique des deux terrains.

Synthétique ou naturel, au regard de l’impact environnemental, le choix du terrain est cornélien.

L’entretien, d’abord, est évidemment plus contraignant sur pelouse naturelle. Pour garder en bon état les 7.140 m² d’herbe piétinée par les footballeurs, il faut non seulement de l’engrais et du désherbant, mais également de l’eau, beaucoup d’eau. À cela s’ajoute l’énergie consommée pour la tonte régulière. Dans certains stades, le gazon peut également être chauffé et exposé à une lumière artificielle. De son côté, la surface synthétique n’a pas les mêmes besoins mais requiert d’être régulièrement désinfectée, car elle « n’évacue pas naturellement des éléments comme les crachats », explique un fabricant de gazon interrogé par So Foot. Ses fibres doivent également être balayées et redressées.

Pourtant, en matière d’émissions de gaz à effet de serre, c’est bien la pelouse synthétique qui est montrée du doigt. Selon les chiffres révélés par le magazine, une pelouse synthétique dégagerait 680 tonnes d’équivalent CO2, une empreinte écologique imposante liée à la quantité de matière et de déchets produits lors de sa fabrication et de son remplacement (le terrain synthétique a une durée de vie d’environ 10 ans). Au total, 3.800 tonnes de déchets seront produites, contre 500 pour le terrain naturel. Ce dernier a, également, un meilleur bilan carbone. Il absorbe plus de CO2 qu’il n’en dégage. Une captation de 12 tonnes, selon le magazine.

Aujourd’hui, de nouvelles matières arrivent sur le marché, comme le liège ou la fibre de coco. « Ces terrains sont entre 10 et 15 % plus cher, indique à Reporterre Annie Lahmer, élue EELV en Île-de-France mais ils sont plus robustes dans la durée. » Les avantages du synthétique mais avec des matières naturelles et sans intoxication, une manière de couper la poire en deux.

Vêtements, chaussures et ballons, eux aussi, pèsent lourd

Le match de l’impact environnemental se poursuit au vestiaire. Maillots, shorts, crampons et même ballon de foot, chacun de ces articles laisse son empreinte, tant sur la planète que sur le portefeuille des ouvriers qui les fabriquent. Dans son dernier rapport, le collectif Éthique sur l’étiquette pointe du doigt les pratiques injustes des deux géants de l’équipement sportif : Nike et Adidas. Ils avaient déjà été critiqués pour avoir fait travailler des enfants dans la confection de leurs produits. S’ils assurent aujourd’hui ne plus avoir recours à ses pratiques, celles-ci ne sont pas plus transparentes pour autant. À commencer par les étiquettes.

En 2016, les deux marques — au même titre que plusieurs autres grandes maisons du textile — sont accusées par Greenpeace d’utiliser des substances chimiques dans la fabrication de leurs produits. Ces composants, comme les PFC (perfluorocarbures), sont utilisés pour leurs multiples pouvoirs qui apportent au tissu, ces fameuses « technologies » toutes plus innovantes et surprenantes les unes que les autres. Libérés dans l’air et dans l’eau, ils « peuvent avoir un impact sur les systèmes immunitaires et reproducteurs », selon l’ONG, affectant les ouvriers qui les manipulent et les consommateurs. Lors de la Coupe du monde 2014, au Brésil, Greenpeace a également identifié ce genre de substances dans les collections spéciales Coupe du monde. Depuis, Adidas s’est engagé à « décontaminer sa production » d’ici à 2020.

Pourtant, aujourd’hui encore, on ne connaît ni la composition exacte des maillots et chaussures de la marque, ni même celle du ballon de football officiel de l’édition 2018, qu’Adidas a le privilège de fabriquer. Ce que montre le rapport, en revanche, c’est que ce ballon, pour reprendre cet exemple, est vendu 150 € en France et rapporte l’équivalent, en roupies, de 0,50 € à l’ouvrier pakistanais qui le fabrique, soit 300 fois moins.

Une réalité habilement dissimulée derrière l’image prestigieuse que s’achètent les marques. Comment avoir conscience d’un tel problème quand on peut se procurer le maillot que porte Lionel Messi ou Neymar ? En sponsorisant ces vedettes du ballon rond, Adidas et Nike se servent de leur visibilité pour occulter leurs pratiques. Chez Nike, les dépenses allouées au sponsoring ont doublé en l’espace de dix ans. Les sommes d’argent qui circulent donnent le vertige. En 2016, la star du football portugais Cristiano Ronaldo a signé un contrat à vie avec l’équipementier. Une première dans l’histoire. La marque s’engageait à lui verser 25 millions de dollars (21 millions d’euros) chaque année. Si on fait le calcul, cela revient à plus de 57.500 euros par jour. Ce revenu quotidien équivaut à un mois de salaire décent pour 272 des ouvriers indonésiens qui travaillent, en usine, à la confection de ses t-shirts, ou encore à un mois de Smic (nets) pour 48 travailleurs français.

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