Le rêve de nouvelle usine textile du monde, en Éthiopie, est en train de tourner court. Deux ans après les premières implantations, les taux de rendements peinent à décoller et les ouvrières n'hésitent pas à cesser le travail face à des salaires - les plus bas du marché - qui couvrent à peine leurs frais. Les investisseurs asiatiques et les marques occidentales, attirées par des promesses de main d'œuvre qualifiée et bon marché, vont devoir revoir leur offre. 

"Main d’œuvre bon marché et qualifiée : sept fois moins chère qu’en Chine, moitié moins qu’au Bangladesh". C’est avec ce type de slogan que le gouvernement éthiopien est parvenu à convaincre investisseurs et multinationales de quitter l’Asie pour venir s’installer sur le toit de l’Afrique, dans l’un des pays les plus pauvres du continent, mais aussi l’un des plus peuplés et dynamiques.
H&M, Décathlon, Guess, Levi’s, Calvin Klein, Tommy Hilfiger… De nombreuses marques de mode ont déjà franchi le pas, attirées par ce nouvel eldorado de la confection textile où le salaire moyen est effectivement le plus bas du marché, à 23 euros par mois, contre 277 euros en Thaïlande, 163 euros au Cambodge ou encore 85 euros au Myanmar, selon les données publiées dans un rapport du Centre Stern pour les affaires et les droits de l’Homme de l’Université de New York (1).
Une rentabilité en berne et un turn-over très important
Mais c’était sans compter sur le revers de la médaille car l’Afrique n’est pas l’Asie. Quelques mois après leur implantation au sud de la capitale Addis-Abeba, dans le parc industriel d’Hawassa qui emploie 25 000 personnes, les usines tournent au ralenti. Leur taux de productivité peine à décoller. Selon une enquête réalisée sur place, il varierait de 15 à 75 %. Et le turn-over était de 100 % la première année : il a fallu remplacer tout l’effectif en moins d’un an, et former le nouveau, engendrant des coûts non anticipés.
"Vu sous cet angle, fabriquer un tee-shirt basique à Hawassa coûte plus cher que chez un fournisseur bangladais", estime un expert cité dans le rapport. "Le potentiel est énorme mais les problèmes le sont tout autant", lâche aussi un manager éthiopien travaillant pour la marque française Décathlon. Face à des salaires de misère qui couvrent à peine leurs frais de nourriture, de transport et logement, les ouvrières éthiopiennes multiplient les retards et les absences, ont l’habitude de stopper leur machine à coudre pour discuter avec leur voisine et n’hésitent pas à se mettre en grève ou même à démissionner.
"Certains managers du sud-est de l’Asie crient sur leurs ouvrières pour attirer leur attention et leur donner les instructions. Mais pour les Éthiopiens, crier est considéré comme très offensant. Ces conflits contribuent au turn-over, à l’absentéisme et à la faible implication des salariées", notent les auteurs du rapport. "La principale erreur du gouvernement aura été d’assurer aux fournisseurs asiatiques et aux acheteurs occidentaux que les opérateurs éthiopiens de machines à coudre seraient dociles avec un faible salaire de base. Ça n’est pas le cas."
Choc des cultures
"C’est un choc des cultures", résume Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Éthique sur l’Étiquette. "Cette situation illustre la course au moins-disant imposée par le secteur de l’habillement. Pour que ça change, il faut transformer le modèle économique de production des vêtements qui reste basé sur la minimisation des coûts, qui détruit la planète et exploite des êtres humains. Cela doit passer par la mise en place d’un traité international contraignant car la soft law (principes de droit non contraignants, ndr) ne fonctionne pas."
En Éthiopie, les grandes enseignes de mode sont au pied du mur. Si elles décident de rester, elles vont devoir changer de méthode. Certaines ont déjà commencé à offrir des bonus en fonction des taux de présentéisme et de rentabilité. D’autres construisent des dortoirs propres et confortables près des usines ou proposent des défraiements pour le transport et la nourriture. Le gouvernement, de son côté, réfléchit à instaurer un salaire minimum dans le privé.
"Démarrer une nouvelle industrie n’est jamais facile. La Chine aussi a dû faire face à des taux importants de turn-over, à des grèves, et il a fallu des décennies avant que l’industrie de la mode s’installe durablement. Ça va marcher," espère, optimiste, le manager de Décathlon sur place. Alors qu’il exporte environ 145 millions de dollars de vêtements par an, l’exécutif éthiopien vise les 30 milliards à terme. Un objectif "irréaliste" selon les experts américains. "Le pays est à un tournant stratégique : va-t-il choisir de suivre l’exemple de réussite chinoise ou se contentera-t-il de copier le modèle extrêmement dépendant du Bangladesh ?", interrogent-ils. 
Concepcion Alvarez, @conce1 
(1) Lire l’étude "Fabriqué en Éthiopie : les défis de la nouvelle frontière de l’industrie du vêtement" 

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