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13 mars 2021
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Devoir de vigilance: le Parlement Européen réclame l'encadrement renforcé des entreprises

Publié le
13 mars 2021

Le 10 mars, une forte majorité de parlementaires européens a voté pour un projet d'initiative portant sur le devoir de vigilance, et posant les bases d'un contrôle accru des entreprises et de leurs filiales. Alors que c'est désormais à la Commission européenne de traduire ce texte dans les faits, le vote a été salué par nombre d'ONG européennes et internationales, mais n'est pas sans inquiéter les entreprises. Et notamment la filière textile européenne.


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Ainsi l'instance représentative de l'industrie textile européenne, Euratex, indique qu'elle "salue l'objectif général du rapport", ainsi que la volonté d'harmoniser à l'échelle européenne les exigences faites aux entreprises. Mais l'organisme "souligne que la mise en œuvre doit encore être débattue". En effet, pour la confédération, le texte pénalisera l'industrie européenne, et imposera une charge excessive de contraintes sur les PME. Ce que relève d'ailleurs le projet lui-même, évoquant la mise en place d'exigences moins étendues et moins formalisées, ainsi que de soutiens et d'informations supplémentaires pour les petites structures.

"L'application équitable et les défis opérationnels qui découlent (du texte, ndlr) ne sont pas suffisamment pris en compte", pointe la filière textile. "La mise en œuvre des 'exigences de diligence raisonnable' aura un impact négatif sur la chaîne de valeur européenne que, selon l'expérience d'Euratex, les outils de soutien en ligne pourront difficilement éviter. Les décideurs politiques devraient évaluer correctement les aspects opérationnels lors de l'élaboration des exigences dans les prochaines propositions. Il est essentiel d'éviter de nouvelles menaces et des coûts supplémentaires, y compris ceux liés aux charges administratives pour l'industrie et, en particulier, pour les PME".

Le projet européen s'appuie notamment sur des textes existants aux Pays-Bas et surtout en France. La loi n°2017-399 y instaure, pour les 150 sociétés françaises employant plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 dans le monde en incluant leurs filiales, l'obligation d'élaborer et de mettre en œuvre un plan de vigilance. Ce dernier est destiné à prévenir les risques d'atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes ainsi qu'à l'environnement pouvant résulter des activités de la société, des sociétés qu'elle contrôle et de leurs sous-traitants. Les sociétés ne pouvant démontrer l'existence et l'exécution de leur plan sont passibles de sanctions.

Le vote du texte européen par 504 voix contre 79 est salué comme "un vote décisif", par les ONG. Dans un communiqué commun, Amnesty International, la Ligue des Droits de l'Homme, Oxfam, Sherpa ou encore le Collectif Éthique sur l'Étiquette se félicitent du message que le parlement européen envoie ainsi aux institutions européennes et à ses États membres.

"Parmi les éléments encourageants de ce rapport figure le fait que le texte vise à tenir les entreprises européennes responsables des violations qu’elles causent ou contribuent à causer à travers leurs relations d’affaires", indiquent ces ONG. "Les entreprises doivent ainsi cartographier l’ensemble de leurs activités ainsi que celles de leurs filiales et sous-traitants et adopter toutes les politiques et mesures proportionnées en vue de faire cesser, de prévenir ou d’atténuer les atteintes qu’elles auraient identifiées. Le texte incite les États membres à garantir qu’ils disposent d’un régime de responsabilité civile en vertu duquel les entreprises peuvent être tenues légalement responsables et appelées à verser des compensations pour réparer les préjudices causés dans leur chaîne de valeur".

Les Ouïghours et la déforestation au cœur des débats



Les ONG appellent cependant la Commission à aller plus loin pour assurer l'efficacité du dispositif, notamment en imposant aux entreprises de devoir mettre en œuvre de façon effectives des mesures de prévention "efficaces et adaptées". Est également pointée du doigt l'absence de régime de responsabilité pénale pour les entreprises, nécessaire selon les ONG à renverser la charge de la preuve et faciliter l'accès aux informations et preuves, facilitant ainsi les recours éventuellement engagés par les personnes et communautés sur les lieux de production.


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"Ce n’est qu’à ces conditions que des violations suspectées (…) ne resteront pas impunies", indiquent les organismes. Qui évoquent en exemple les accusations de travail forcé de la minorité musulmane des Ouïghours dans l'ouest de la Chine, et qui joue un grand rôle dans la filière textile. Sont également ciblés Lafarge, accusé de participer au financement du terrorisme en Syrie, ainsi que Total, accusé par les ONG d'accaparer des terres en Ouganda. Rapporteuse du texte voté le 8 mars, la députée européenne néerlandaise Lara Wolters avait de son côté étayé son argumentaire en pointant le rôle des entreprises et capitaux européens dans les processus de déforestation.

Reste que le projet d'initiative récemment voté va désormais faire l'objet d'une habituelle phase de lobbyisme européen, avant que la Commission européenne ne se prononce sur la forme que devrait finalement prendre le dispositif final. Dispositif dont l'application devrait quoiqu'il arrive s'avérer délicate. En France, plusieurs mises en demeure auraient déjà été adressées à des entreprises françaises par des ONG ou syndicats, et une première série d'actions judiciaires ont été initiées sur le fondement du devoir de vigilance à la française. La dernière action en date fut, le 3 mars, l'assignation en justice du groupe Casino (Monoprix) par des ONG et des communautés autochtones du Brésil et de Colombie.

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