Accusations de travail forcé des Ouïghours : comment contraindre l’industrie textile ?

Photo prise à Berlin en Allemagne le 29 mars 2020. ©AFP - ODD ANDERSEN
Photo prise à Berlin en Allemagne le 29 mars 2020. ©AFP - ODD ANDERSEN
Photo prise à Berlin en Allemagne le 29 mars 2020. ©AFP - ODD ANDERSEN
Publicité

Suite à des accusations de travail forcé de Ouïghours, l’enseigne H&M a suspendu sa collaboration avec des producteurs et fabricants du Xinjiang - province du nord-ouest de la Chine, où vit majoritairement cette ethnie musulmane. L'industrie textile, mais pas seulement, est au premier plan.

Avec

L’enseigne H&M a suspendu sa collaboration avec des producteurs et fabricants du Xinjiang - province du nord-ouest de la Chine, où vivent majoritairement les Ouïghours. Depuis plusieurs mois, Pékin est accusé de persécuter cette ethnie musulmane. Et en mars 2020, un think tank australien affirmait que des dizaines d’usines chinoises œuvrant pour le compte de grandes marques internationales, faisaient travailler des milliers de Ouïghours sous la contrainte. L’industrie textile est en première ligne. 

Guillaume Erner reçoit Nayla Ajaltouni, coordinatrice du Collectif Ethique sur l’Etiquette.

Publicité

Que sait-on sur le travail forcé des Ouïghours dans l’industrie textile ?

"On a des informations partielles. De manière plutôt globale, on sait qu’il y a entre 1 et 2 millions de Ouïghours dans des camps d’internement, persécutés par le régime chinois. On estime que 80 000 d’entre eux sont utilisés comme de la main d’oeuvre quasi gratuite et subissent le travail forcé pour venir alimenter plusieurs centaines d’usines dans la région, usines qui produisent des vêtements mais aussi des jouets, de l’électronique, différents biens de consommation… il y a une liste de plus de 80 entreprises qui fournissent le marché européen, d’Apple à Amazon en passant par H&M ou Zara, qui se se fourniraient dans cette zone."

"Ce sont des camps de travail : les Ouïghours sont extraits des camps d’internement pour aller alimenter des usines."

Quelle transparence sur la chaîne de production

"Pour les produits textiles comme non textiles, c’est le genre d’information qu’il est impossible d’avoir."

Nous n’avons pas, à l’échelle internationale, de système de traçabilité, de transparence, qui permettrait de relier une unité de production à un donneur d’ordre international, à une marque qui fournirait les marchés occidentaux ou mondiaux. Nayla Ajaltouni

"Cela fait partie des difficultés que l’on rencontre aujourd’hui. Cette question Ouïghour est un symptôme terrible de cette irresponsabilité organisée finalement, de cette absence de traçabilité."

"Le problème est connu depuis de nombreux années. Le premier scandale dans l’industrie de l’habillement c’est Nike en 1996, qui faisait fabriquer ses ballons par des enfants au Pakistan payés quelques cents de l’heure. Il y a quelques années, en 2013, le Rana Plaza au Bangladesh s’effondrait tuant 1138 ouvrières de l’industrie de habilement. Aujourd’hui, c’est un énième scandale qui vient entacher l’industrie de l’habillement. Or, il faut qu’on cesse désormais d’avoir des réactions, des ripostes médiatiques à des scandales lorsque la pression citoyenne et publique est trop forte mais que, en amont, on assainisse les chaînes de l’approvisionnement."

Le secteur textile est entaché de violations des droits fondamentaux des travailleurs, qui sont sous payés, privés de leurs droits et on n’a pas encore de système international qui donne une responsabilité juridique pour les donneurs d’ordre. Nayla Ajaltouni

"La France a créé un premier pas en 2017 en adoptant la loi sur le devoir de vigilance. Maintenant on cherche à responsabiliser ces entreprises par le biais d’une directive européenne et au niveau international puisque les engagements volontaires, la pression publique, ne suffisent pas à enrayer cette course aux profits quel qu’en soit le prix."

"Les entreprises ne connaissent pas l’ensemble de leur chaine de valeur mais c’est précisément le problème."

On ne peut pas être un acteur central de la mondialisation économique, tirer profit de cette opacité, de droits sociaux bafoués dans des pays de production, de la Chine au Bangladesh en passant par le Vietnam et le Cambodge et ne pas se sentir responsable de la chaîne de sous traitance. Nayla Ajaltouni

"Aujourd’hui, ce qui est scandaleux c’est  que H&M et d’autres entreprises auraient déjà dû identifier les risques de travail forcé dans la région et adapter leurs pratiques commerciales, économiques. Il s’agit de tout un modèle économique de l’industrie de l’habillement qui consiste à produire à moindre coût pour un prix très élevé pour le droit des travailleurs."

"La fast fashion (mode jetable) produit à faible coût de production, vend à petit prix, des vêtements souvent à qualité dégradée et nous pousse à une surconsommation : l’idée est de faire surconsommer, d’augmenter le profit et la performance financière des entreprises en délaissant la question des droits fondamentaux."

La responsabilité des consommateurs 

"La réaction d’H&M est quand même l’illustration de la force de la pression citoyenne. Cette prise de conscience citoyenne est manifeste et l’alternative est compliquée : on n’a pas de transparence. Le consommateur est ballotté entre la communication de ces entreprises et l’absence d’information vérifiée  puisqu’on n’a pas d’obligation d‘indiquer les conditions de travail et la rémunération des personnes."

"Une offre de vêtement responsable existe mais le consommateur n’a pas tous les leviers pour changer ses modes de consommation. _Un traité international obligerait les entreprises internationales à être redevables.__"_

La Question du jour
8 min

Vous pouvez écouter l'interview en intégralité en cliquant sur le player en haut à gauche de cette page.

L'équipe