Ils sont ces petites mains qui fabriquent nos tee-shirts à bas prix et ils demandent des hausses de salaires. Les ouvriers du textile du Bangladesh défilent massivement, depuis deux jours, contre les bas salaires. Lundi, plus de 140 usines ont dû être fermées tandis que des heurts avec la police se sont déroulés à Gazipur, une des vastes zones industrielles qui bordent la capitale, Dacca.

Deux salariés de GMS Composite Knitting ont été tués et 150 ont été blessés. « D’abord, des responsables de l’usine ont battu un de nos collègues, puis, alors que nous sortions de l’usine pour exprimer notre protestation, la police a ouvert le feu », raconte un manifestant.

Un responsable policier assure de son côté que les forces de l’ordre n’ont utilisé que des armes non mortelles. « Ces personnes sont mortes au cours d’une bousculade, lorsqu’elles sortaient de l’usine », dit un officier.

4 millions de Bangladais travaillent dans le textile

Mardi, les manifestations se sont poursuivies dans toutes les zones industrielles de la capitale. Environ 40 usines étaient fermées. De petits groupes de manifestants tentaient de bloquer les carrefours, faisant face à la police, et 50 personnes ont été blessées à Ashulia, une autre grande zone industrielle des abords de la capitale.

Ces manifestants dénoncent l’insuffisance de la récente hausse des salaires, dans un contexte déjà tendu. Le secteur textile emploie plus de 4 millions de personnes au Bangladesh, dans de vastes usines qui travaillent pour les plus grands distributeurs mondiaux : H & M, Zara ou Carrefour.

À (re)lire, Bangladesh, l'autre atelier du monde, l’enquête de « La Croix » en janvier 2013

En avril dernier, le secteur a connu la pire tragédie de son histoire, avec l’effondrement du Rana Plaza, à Savar, près de Dacca. Cet immeuble abritait quatre ateliers, sur une hauteur de huit étages. Le bâtiment avait été surélevé par le propriétaire, proche du parti au pouvoir, sans respect des normes. Aucune inspection ne s’était inquiétée des risques pour le bâtiment.

très légère augmentation du salaire minimum

Le 24 avril dernier, l’immeuble s’est écroulé faisant 1 135 morts parmi les salariés des usines et plus de 1 600 blessés. Cette catastrophe a mis en lumière la situation des travailleurs pauvres du Bangladesh. Elle a été suivie d’une forte mobilisation dans le pays et sur le plan international. Six mois plus tard, cependant, peu de chose a changé. Et les salariés ont du mal à retrouver le même soutien.

À l’issue d’une longue négociation, le salaire minimum a bien été augmenté. Il était auparavant de 30 € par mois, pour six jours de travail par semaine. Il a été porté à 50 €, soit une augmentation significative. La hausse doit prendre effet le 1er décembre prochain. Mais c’est en deçà de ce que demandaient les syndicats de salariés qui voulaient arriver à 76 € par mois.

Les syndicats ont également obtenu des droits supplémentaires. Désormais, il n’est plus nécessaire d’avoir l’accord du patron d’une entreprise pour créer une section syndicale dans une usine. « C’est une petite révolution, mais elle reste sur le papier, indique Nayla Ajaltouni, coordinatrice française du collectif “De l’éthique sur l’étiquette”. Dans la réalité, il faut du temps pour que les mentalités changent et que les pressions des employeurs sur les salariés syndiqués cessent. »

les marques

Les familles de victimes du Rana Plaza ont été très peu indemnisées. Les organisations non gouvernementales souhaitent la création d’un fonds alimenté par les grandes marques. Mais nombre d’entre elles ont préféré ne pas se rendre aux réunions organisées à Genève, au siège de l’Organisation internationale du travail (OIT), pour créer ce fonds. Seule la société irlandaise Primark a déjà versé des fonds en distribuant directement l’équivalent de 5 mois de salaire à des familles.

« En revanche, il n’a pas été possible de mettre en place une réponse globale », regrette Nayla Ajaltouni. « En France, trois marques sont concernées. Camaïeu accepte de participer à un fonds d’indemnisation. Mais Auchan ne répond pas à nos sollicitations. Ils ont reconnu qu’une part de leur production venait du Rana Plaza, mais ils prétendent qu’il s’agit d’un cas de sous-traitance illégale. Enfin, on a aussi retrouvé une étiquette de Carrefour dans les décombres. Mais ce groupe nous dit que c’est impossible, compte tenu de leurs systèmes de contrôle, et qu’il ne s’agit que d’une ancienne étiquette oubliée. »

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Après le Rana Plaza, plus d’une centaine de marques ont accepté de signer un « accord sur la sécurité des usines » qui organise des inspections indépendantes des lieux de travail. Mais aucune de ces inspections n’a encore pu avoir lieu. Le démarrage tarde, car il faut former des inspecteurs sur place. Surtout, les représentants des ONG et des marques sont en lutte pour savoir qui exercera vraiment le pouvoir au sein de ce nouvel organisme de contrôle en train de se constituer.