Drame

A Tanger, la mort en sous-sol pour les ouvrières du textile

Le Maroc demande des comptes après la noyade, lundi, de 28 personnes qui travaillaient dans un atelier clandestin inondé par un orage.
par François-Xavier Gomez
publié le 11 février 2021 à 18h15

Une vague d’indignation secoue le Maroc depuis lundi, et la mort de 28 personnes, en majorité des femmes, dans un atelier de textile clandestin à Tanger, dans le nord du pays. Conditions de travail de salariés précaires, poids du secteur informel, qui représente un tiers du PIB du pays, selon un récent rapport de la Banque centrale, tolérance des autorités face au non-respect du droit et des normes de sécurité… Dans la presse et sur les réseaux sociaux, les interrogations s’accumulent.

Alors que la région subit depuis plusieurs jours des pluies torrentielles, les eaux ont subitement submergé lundi matin un atelier de confection situé au sous-sol d’une résidence privée. «Les victimes se sont retrouvées coincées sans aucune issue de secours», a affirmé à l’AFP le commandant régional de la protection civile. Une première version évoquait une électrocution générale.

D’après le reportage mis en ligne le jour même par le média indépendant le360, le quartier Hay Ennasr où s’est déroulé le drame est une zone résidentielle plutôt huppée. Une quarantaine de travailleurs s’affairaient depuis 6 heures du matin dans le sous-sol. Parmi les victimes figurent quatre sœurs originaires de Fès.

Les proches du propriétaire, hospitalisé dans un état grave, insistent sur la légalité de son entreprise, A & M Confection, inscrite au registre du commerce et déclarant ses salariés. Mais son installation dans un sous-sol n’avait vraisemblablement fait l’objet d’aucune autorisation. La résidence où il se trouve fait partie d’un «lotissement construit près d’un oued («rivière»), ce qui est interdit car c’est une zone inondable», a souligné Ahmed Ettalhi, président de la commission de l’Urbanisme locale au site Media24. La vétusté des installations d’assainissement de la commune a aussi été pointée.

Unités de production «informelles»

D’après un représentant local de l’Association marocaine des industries textiles, parlant sous couvert d’anonymat, «ces ateliers de proximité existent par centaines à Tanger et font vivre des milliers de familles». «Je n’imagine pas qu’ils soient tous dans l’illégalité puisqu’ils travaillent pour des grandes marques internationales», affirme-t-il. Plus de la moitié (54 %) de la production du secteur «textile et cuir» du Maroc provient d’unités «informelles», incluant des unités de production «ne répondant pas aux normes légales», évalue une étude publiée en 2018 par la Confédération patronale marocaine (CGEM).

L’Observatoire du nord des droits humains, une ONG locale, affirme pour sa part avoir constaté à Tanger «l’existence de plusieurs ateliers situés dans des sous-sols de maisons ne respectant pas les normes de sécurité, même pendant la pandémie de coronavirus».

Dès les années 90, des ONG ont alerté les consommateurs sur les conditions déplorables dans lesquelles était fabriquée, dans les pays pauvres, une grande partie de la production textile mondiale. En France, c’est le collectif Ethique sur l’Etiquette qui porte ce combat. Deux tragédies avaient particulièrement ému l’opinion. Le 24 novembre 2012, au moins 117 personnes avaient péri dans l’incendie de la manufacture Tazreen à Dacca au Bangladesh. Cinq mois plus tard, dans la même ville, l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza, qui abritait une multitude d’ateliers textiles, avait provoqué 1 138 morts. Dans les deux cas, les clients étaient de prestigieuses enseignes d’habillement occidentales.




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