Textile

Grandes enseignes : pour les salariés, des sacrifices à la chaîne

Malgré les déclarations qui ont suivi le drame du Rana Plaza au Bangladesh en 2013, les avancées tardent à venir pour les petites mains des filières à bas coût.
par Marie Ottavi
publié le 6 novembre 2017 à 20h06

En 2013, l’effondrement du Rana Plaza avait causé la mort de 1 138 ouvriers et ouvrières et avait laissé plus de 2 000 personnes blessées. Le drame survenu dans cette usine de confection bangladaise, sous-traitante des grands noms de la «fast fashion», avait alerté l’opinion mondiale sur les conditions plus que précaires des employés du secteur de l’habillement. La polémique ébranlait un système où les droits des salariés étaient régulièrement bafoués et les conditions de sécurité de ces usines réduites à peau de chagrin.

Quatre ans après la catastrophe du Rana Plaza, peu de choses ont changé, notamment en termes de salaire. Les rentes des employés du secteur restent dramatiquement basses. Au Cambodge, la hausse du salaire minimum pour les 740 000 employés du secteur textile vient seulement d’être annoncée à dix mois des élections législatives. Au Bangladesh, le salaire moyen mensuel reste bloqué à 50,5 euros pour les 4 millions d’ouvriers spécialisés. Les géants de l’habillement tels Zara, Primark, Mango, H&M, Benetton, Walmart continuent de produire plus pour que leurs clients consomment plus (la consommation mondiale de vêtements devrait croître de 63 % d’ici à 2030).

«Vide juridique»

Zara est l’incarnation de cette fast fashion florissante. La marque, forte de 7 300 boutiques à travers le monde, annonçait en mars un bénéfice record de 3,16 milliards d’euros de ses résultats 2016. L’un des points forts du géant espagnol basé à La Corogne, c’est sa vitesse de production. Entre la création d’un vêtement et sa mise en place en magasin, il ne se passe que cinq semaines. Une efficacité qui lui permet de réapprovisionner ses boutiques constamment et de proposer de nouvelles collections tout au long de l’année. Pour parvenir à de tels résultats, elle fait appel à un réseau de sous-traitants implantés dans le bassin méditerranéen (Espagne, Portugal, Maroc, Tunisie, Turquie), en Asie (Chine, Inde, Bangladesh, Vietnam, Cambodge) et en Amérique du Sud.

«Le modèle économique de ces marques n'a jamais évolué, rappelle Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Ethique sur l'étiquette. On fabrique à faible coût pour produire de grands volumes et faire plus de profits. Mais le respect des droits fondamentaux n'est pas au cœur de leur politique. Les ouvriers touchent des salaires de misère, font des horaires de travail démesurés et subissent des violations du droit à se syndiquer qui les empêchent de défendre leurs droits. Les affaires comme celle de Bravo Tekstil en Turquie révèlent l'impunité des multinationales. Cela fait vingt ans, qu'elles agissent sans aucune obligation, sans respecter le droit du travail et sans qu'aucune sanction ne les contraigne à changer de méthode. Les modèles n'ont pas changé depuis le Rana Plaza. Les groupes ont fait grandir leur chaîne de sous-traitants. Ce qui évolue, c'est la prise de conscience des consommateurs et les actions pour alerter les consommateurs.»

Au lendemain de l'affaire du Rana Plaza, les leaders du secteur textile avaient accepté de signer un accord contraignant qu'elles avaient refusé jusque-là. En mai 2013, elles avaient finalement accepté de financer un système indépendant d'inspection des usines sous l'égide de l'Organisation internationale du travail. «H&M avait été le premier à signer et les autres ont suivi, poursuit Nayla Ajaltouni. Nous demandions à ce qu'elles trouvent les moyens de mettre ces usines aux normes. Le contrat courait de 2013 à 2018. Il vient d'être renouvelé pour trois ans mais il sera dorénavant placé sous l'égide du Bangladesh, ce que nous regrettons. Les syndicats locaux et internationaux n'auront plus accès aux dossiers. Dans un pays très corrompu comme le Bangladesh, ces enseignes profitent du vide juridique pour trouver toujours plus de main-d'œuvre à bas coût.»

Réticences

Une loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre a finalement été adoptée en mars à l'Assemblée. Elle rend les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés tous secteurs confondus juridiquement responsables des actions conduites par leurs filiales vis-à-vis des impacts sociaux et environnementaux. Les grandes enseignes ont l'obligation de rédiger un plan de vigilance qu'il leur faudra appliquer dès le 1er janvier.

Dominique Potier, député PS de Meurthe-et-Moselle, aimerait que la loi qu’il a portée serve d’exemple à un traité international juridiquement contraignant sur les droits humains. Des débats viennent de s’achever à l’ONU à Genève sans qu’un accord n’ait été trouvé. Les discussions devraient reprendre en 2018 portées par la diplomatie française, espèrent ses défenseurs. Un soutien indispensable pour contrer les offensives du lobby textile et les réticences des pays où les sous-traitants pullulent.

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