Décryptage

La mode éthiquetée prend ses marques

Intelligence artificielle : de la fascination à l'inquiétudedossier
Des acteurs de l’industrie textile se veulent plus responsables. Un affichage qui recouvre différentes démarches, plus ou moins probantes.
par Marie Ottavi
publié le 21 mars 2019 à 20h26

Ces derniers mois, on n'avait que ce mot à la bouche dans le secteur vestimentaire : «responsable». Il sous-entend un prêt-à-porter éthique, avec des valeurs, des principes et des motivations autres que purement commerciales. Mais qui, alors, fabrique responsable (et beau) ? La mode vertueuse peut-elle survivre à l'économie globalisée voire la bousculer ? Sur le versant de la mode, il y en a pour tous les goûts et c'est bien là le problème : comment s'y retrouver ? Trop de propositions, pas toujours sincères, auraient tendance à tuer le message plutôt qu'à le porter.

La mode équitable

Une enseigne collabore avec des coopératives de producteurs et des structures de petite taille sur le modèle de ce qui se fait dans l’alimentaire. Le but est de s’engager à acheter les matières premières à un prix supérieur à celui du marché, à verser les salaires en avance aux producteurs pour les aider à investir en achetant des semences (pour le coton par exemple), et à améliorer la vie du village de la coopérative via l’éducation ou l’accès à l’eau.

La labellisation «commerce équitable» ne concerne que les matières premières. Aucun label n'existe aujourd'hui pour les usines de confection. En parallèle, des filières intégrées (qui regroupent l'ensemble des acteurs de la fabrication d'un produit) contrôlent tous les stades de la production. «En l'absence de labellisation, ce qui rend la démarche d'une marque crédible, c'est la transparence», souligne Nayla Ajaltouni, du collectif Ethique sur l'étiquette.

La mode humanitaire ou l’entrepreneuriat social

Il s’agit de payer les ouvriers plus tôt, et au-dessus du salaire moyen, de les aider aussi à préserver des savoir-faire parfois ancestraux. Cela peut s’accompagner de structures de formation, de santé. Misericordia est pionnière sur ce créneau. La marque de vêtements française travaille depuis 2003 avec un atelier installé à Lima au Pérou.

Depuis quinze ans, Veja, fabricant français de baskets, se situe elle dans une famille à double entrée : environnementale et sociale. Elle achète son coton et son caoutchouc au Brésil et au Pérou à «un prix décorrélé de celui du marché». Elle est aussi vigilante sur les conditions de travail, ses entrepôts et veut maîtriser l'ensemble de la chaîne. Les baskets sont fabriquées au Brésil et conditionnées par des associations de réinsertion en France.

Atelier Bartavelle, petite griffe de vêtements parisiano-marseillaise, produit de son côté des séries limitées en collaboration avec des personnes en réinsertion professionnelle en France et à l’étranger. Ses deux créatrices ont fondé l’association Itinérance, qui sillonne actuellement cinq pays du bassin méditerranéen où elles travaillent en circuit court et valorisent l’artisanat local.

Maison Château Rouge, dont les lignes s’inspirent du wax, est le fruit de l’association les Oiseaux Migrateurs montée en 2015 par deux frères originaires de Seine-Saint-Denis, Youssouf et Mamadou Fofana. La marque soutient les actions de l’association qui elle-même accompagne le développement de petites entreprises africaines. Elle construit actuellement une maison des femmes près de Dakar.

Dans le giron de la mode dite humanitaire, il y a aussi les «produits partage» basés sur la bienfaisance. Des marques reversent par exemple 1 % de leur chiffre d'affaires pour des actions en faveur de l'environnement ou des femmes. Nathalie Ruelle, professeure à l'Institut français de la mode (IFM) et spécialiste du développement durable, n'y voit rien de révolutionnaire : «Ça ne remet rien en cause.»

La mode environnementale

Une idée reçue, jamais vérifiée, ne cesse de se diffuser : le textile serait la deuxième industrie la plus polluante du monde. «Mieux vaut arrêter car on n'a pas de sources fiables qui le corroborent», pointe Nathalie Ruelle. La mode n'en reste pas moins l'une des industries les plus consommatrices de ressources, «ce qui pose question dans le contexte d'une augmentation de la population», remarque-t-elle. Les marques eco-friendly pullulent sur le papier. Certaines utilisent du coton biologique, des matières recyclées ou produisent en Europe pour réduire le transport et où les normes environnementales y sont plus strictes.

Une grande diversité de projets, plus ou moins confidentiels, coexistent. Basé à côté de Bamako, l'artiste Aboubakar Fofana élabore des pièces en coton biologique teintées avec de l'indigo végétal. Aeance, griffe allemande de sportswear chic, s'engage à créer des collections non saisonnières ayant le moins d'impact possible sur l'environnement. Des créateurs travaillent des fibres recyclées, ou font de l'upcycling (valoriser des vêtements ou tissus déjà existants) avec des tissus issus de fins de stock, comme Kevin Germanier, artiste suisse, Andrea Crews (qui collabore actuellement avec l'association Tissons la solidarité et le Printemps), Marine Serre ou Coralie Marabelle en France. Avec les limites que cela comporte. «Ça fait parler de soi mais on aboutit très vite à une impasse : l'upcycling ne fait pas votre collection, analyse Nathalie Ruelle. Qui dit pièce unique dit problème de gamme de tailles pour revendre le produit. Ce n'est pas une mode grand public.»

Quid du futur ?

Alors, dans quelle direction aller ? «A l'avenir, avec l'innovation et l'intelligence artificielle, on arrivera à mieux gérer ce qu'on produit. On devrait déjà réfléchir à notre façon de consommer la mode, rappelle Nathalie Ruelle.Peu de marques organisent leur propre seconde main, à part la griffe pour enfant Cyrillus, et très peu font de la location comme les chaussures Bocage [groupe Eram ndlr] Il y aurait pourtant une prise de conscience générale du gâchis à voir le nombre de campagnes lancées et d'articles sur le sujet.

«Il faut mener des actions collectives, et donc en passer par la loi, juge Nayla Ajaltouni. Contraindre les grandes marques à léguer leurs invendus à de bonnes œuvres comme le propose le gouvernement ne change pas le modèle fondamentalement. Si les fibres de ces vêtements ne sont pas de bonne qualité pour être recyclées et qu'on n'améliore pas les conditions de travail des ouvriers qui les fabriquent, on n'assainit pas un système qui reste prédateur pour la planète : on produit et on consomme trop.»La ville de Paris souhaite devenir la capitale de la mode responsable d'ici 2024. Sauf que «les gens ne veulent pas faire trop d'efforts, déplore Nathalie Ruelle. Je ne sens pas d'élan radical». Tout est encore lié à l'éducation des consommateurs, au respect du produit, à la communication autour de sa fabrication. Des boutiques informent leur clientèle tout en proposant des vêtements «responsables» comme la Textilerie ou Manifeste011 à Paris. Une goutte d'eau - bienheureuse - dans un océan de sapes.

Et pour aller plus loin sur le sujet, nos deux hors-séries consacrés à l’intelligence artificielle…

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Pour aller plus loin :

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