La France a été le premier pays de l'Union européenne à se doter d'une loi sur le devoir de vigilance obligeant les multinationales à prendre en compte leurs impacts environnementaux et sociaux sur l'ensemble de leurs chaînes de valeur. Deux ans après, onze procédures ont été lancées contre Casino, Total ou Suez, marquant une "judiciarisation de la RSE". Une démarche qui inspire au niveau européen. 

C’était il y a quatre ans. La France, pionnière en la matière, adoptait une loi obligeant les entreprises à prévenir les risques sociaux, environnementaux et de gouvernance liée à leurs chaînes de sous-traitance. Après deux ans de rodage, le temps du contentieux est venu. Depuis 2019, le cabinet De Gaulle Fleurance et Associés comptabilise 11 procédures fondées sur le devoir de vigilance. "Il y a une vraie montée en puissance. On n’est pas sur une loi cosmétique", plaide Pierrick Le Goff, principal auteur du rapport publié fin mai par le cabinet d’avocats.
La dernière affaire date du 7 juin. Quatre organisations, dont la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ont assigné Suez en se reposant sur le devoir de vigilance. Les ONG lui reprochent de ne pas avoir mis en place de mesures préventives et correctives suffisantes pour prévenir des fuites de pétrole dans une usine d’eau potable alimentant plus de 140 000 personnes dans la ville d’Osorno au Chili.


Le 3 mars dernier, pour la première fois, c’est une chaîne de supermarché, Casino, qui a été assignée. Les ONG, dont Notre Affaire à tous et Sherpa, estiment que ses ventes de produits à base de viande bovine d’Amérique du sud participent à la déforestation et à l’accaparement de terres des autochtones. 
Un virage culturel
"Il y a une judiciarisation de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises)", croient Sébastien Mabile et François de Cambiaie, les deux avocats qui sont en charge du dossier qui oppose un collectif d’associations et de collectivités à Total. "Aujourd’hui, la RSE ce n’est plus de belles paroles sans engagements, il y a une responsabilisation des entreprises et le contentieux fait partie de la palette mise à disposition pour faire bouger les lignes", ajoutent-ils.
Si la crainte d’un contentieux pousse les entreprises à élaborer un devoir de vigilance, ce dispositif, associé à la loi Pacte, marque un "tournant culturel", selon l’avocat Pierrick Le Goff. "C’est comme la ceinture de sécurité. Au début, lorsque l’obligation est apparue, on la mettait pour éviter une amende. Maintenant on s’attache pour se protéger. Pour le devoir de vigilance, même si la loi a provoqué le mouvement, elle est aujourd’hui entrée dans les mœurs de l’entreprise", décrypte Pierrick Le Goff.
Une inspiration pour l’Union européenne
Reste encore à améliorer le dispositif. Aujourd’hui, la loi "qui tient sur une page A4" ne précise pas les juridictions compétentes. La solution serait probablement de désigner des tribunaux judiciaires dédiés pour traiter des litiges concernant le devoir de vigilance. En attendant une possible amélioration, c’est sur le front européen que les lignes bougent. Inspirée par la France, la zone voudrait calquer le dispositif à son échelle.
Le 10 mars dernier le Parlement européen a d’ailleurs adopté un texte ambitieux sur la question afin de guider la Commission. Celle-ci devrait proposer de nouvelles règles d’ici la fin de l’année. Le Parlement voudrait même interdire l’importation de produits fabriqués au mépris des droits humains comme des vêtements issus des camps de travail ouighours. "La proposition européenne d’un devoir de vigilance est un élément de réponse à la catastrophe environnementale et sociale engendrée par l’avidité des entreprises multinationales", tacle dans une tribune publiée dans le Monde l’eurodéputée et porte-parole d’Oxfam Manon Aubry.
Marina Fabre, @fabre_marina

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