Des réactions irresponsables des multinationales
Des centaines de milliers de travailleuses de l’habillement ont vu leur contrat et leurs salaires suspendus suite aux interruptions de la production à travers le monde. L’Asie notamment voit la fermeture d’un grand nombre d’usines, des Philippines au Myanmar en passant par le Bangladesh. De nombreuses marques internationales ont annulé des commandes parfois déjà produites, abusant de clauses contractuelles qui leur sont de toutes façons favorables, comme celle de « force majeure », privant les fournisseurs de paiements et en conséquence les travailleur.euse.s, de leurs salaires. C’est inacceptable. Leur obligation de vigilance impose aux multinationales de s’assurer du respect des droits fondamentaux des travailleur.euse.s tout au long de leur chaîne de valeur, quelle que soit la situation économique.
Victimes en temps normal d’une situation précaire en raison de leurs bas salaires, de leurs conditions de travail dégradées et de la répression généralisée des droits à la liberté d’organisation et de négociation collective, sans épargne et privés dans de nombreux pays d’un système de protection sociale, les travailleur.euse.s du secteur textile doivent maintenant affronter une crise sanitaire, sociale et économique particulièrement grave.
« Les travailleur.euse.s de l’habillement vivent au jour le jour. Si ils ou elles perdent leur emploi, c’est leur salaire mensuel qui est perdu et avec lui la possibilité de nourrir leur famille », Kalpona Akter, présidente de la NGWF, la Fédération nationale des travailleur.euse.s de l’habillement au Bangladesh.
Des centaines de fermeture d’usines
Les informations des médias et recueillies directement par notre réseau auprès des organisations locales (voir l’info au jour le jour sur le blog de la Clean Clothes Campaign), montrent que de nombreuses usines ont fermé. Ces fermetures ont d’abord été dues à l’arrêt de l’approvisionnement en matières premières en provenance de Chine, puis à la réduction des commandes liées à la fermeture des magasins en Europe, ainsi qu’aux initiatives de confinement prises par les autorités locales, livrant les travailleur.euse.s à eux-mêmes. C’est le cas au Cambodge, au Myanmar, au Sri Lanka, au Bangladesh, en Indonésie, en Albanie et dans les pays d’Amérique centrale.
Marques et enseignes d’habillement doivent agir d’urgence
Leur obligation de vigilance impose aux multinationales de prévenir les violations des droits fondamentaux des travailleur.euse.s qu’ils emploient indirectement tout au long de leur chaîne de valeur, quel que soit le contexte économique. Ils ne peuvent être celles et ceux qui paient le prix de cette pandémie mondiale. Avec son réseau international, le Collectif Éthique sur l’étiquette leur demande instamment de prendre des mesures pour protéger les travailleur.euse.s :
– s’assurer que leurs fournisseurs respectent les recommandations du gouvernement et, si nécessaire, ferment leurs usines pour la durée appropriée afin de protéger les travailleur.euse.s et leurs communautés, tout en maintenant leurs contrats et le paiement de leurs salaires ;
– veiller à ce que les travailleur.euse.s qui sont renvoyés chez eux en raison d’une baisse d’activité continuent à recevoir leur salaire ;
– veiller à ce que les travailleur.euse.s qui contractent le virus, ou qui soupçonnent qu’ils en sont porteurs, puissent bénéficier d’un arrêt maladie sans subir de répercussion et soient indemnisé.e.s à hauteur de leur salaire pendant la période de rétablissement ;
– réévaluer les délais de commande afin d’éviter que les travailleur.euse.s ne soient contraints de réaliser des heures supplémentaires lors de la réouverture des usines ;
– veiller à ce que les mesures de lutte contre le virus ne restreignent pas indûment la liberté de circulation des travailleur.euse.s ou leur liberté d’organisation.
La crise du coronavirus révèle les risques liés à la dépendance de nos économies vis-à-vis de filières d’approvisionnement lointaines. Elle semble plaider pour une relocalisation de la production. Mais plutôt que la distance, le problème réside dans l’absence de règles contraignantes au niveau international, qui permet aux multinationales de faire peser les risques sur le maillon le plus faible de la chaîne de valeur.
La crise sanitaire actuelle nous invite à une profonde remise en cause du modèle économique de l’industrie mondialisée de l’habillement en vigueur depuis les années 70’, fondée encore aujourd’hui sur une minimisation des coûts de production, au premier rang desquels celui de la main d’œuvre. Il accroît la vulnérabilité des travailleur.euse.s, face aux pandémies comme le coronavirus, et ce, partout dans le monde.
Au-delà, il est urgent de travailler à l’élaboration d’une directive européenne sur le devoir de vigilance des multinationales, à l’image de la loi déjà adoptée en France et d’adopter le Traité sur les multinationales et les droits humains en discussion au sein du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies depuis 2014.
Au 22 mars 2020