– Parmi les marques internationales connues du grand public, lesquelles ont des pratiques responsables ?
Le problème de la violation des droits fondamentaux des travailleurs est beaucoup trop diffus pour que l’on puisse établir une liste de marques internationales responsables. Certaines multinationales ont publié la liste de leurs fournisseurs, et collaborent avec des syndicats et des organisations engagées dans la défense des droits des travailleurs. Mais à ce jour aucune n’a modifié en profondeur ses pratiques ou mis en place des politiques de responsabilité sociale suffisamment ambitieuses pour faire preuve de leur volonté de garantir les droits sociaux des travailleurs qui fabriquent leurs produits.
– Qu’est-ce que je peux faire à mon niveau en tant que citoyen ?
Passer à l’action !
C’est la première chose à faire. Au vu des résultats des campagnes passées, je peux faire pression sur les multinationales pour que cessent les violations des droits des travailleurs. Je parle de ce problème autour de moi. Je soutiens les campagnes portées par le collectif Ethique sur l’étiquette : je fais circuler la documentation, je diffuse les pétitions, les appels urgents ; j’incite mon entourage à les signer. J’intègre un des collectifs locaux pour développer des actions à mon échelle.
Acheter responsable
Cela signifie que je consomme moins et mieux.
Moins : je limite les achats compulsifs, ou dictés par les médias, d’une nécessité souvent discutable (j’en ai douze exemplaires dans mes placards).
Mieux : je m’informe sur les entreprises, soit en allant sur leur site, soit auprès des vendeurs eux-mêmes, et je privilégie celles qui intègrent des démarches responsables ou équitables. Je reste attentif : nombre d’entreprise mettent sous le vocable « éthique » des considérations strictement liées au respect des l’environnement et non des droits des travailleurs.
Une certitude : les entreprises de la Fair Wear Foundation acceptent une vérification indépendante réalisée par la Fondation de la mise en œuvre des normes fondamentales du travail le long de leur chaîne d’approvisionnement.
J’achète des vêtements de seconde main ou en friperie (d’autant que c’est très à la mode !). C’est une bonne alternative pour s’habiller pas cher et éviter le gaspillage.
– Le boycott des marques, est-ce la solution ?
Attention, boycotter un produit n’est pas toujours la meilleure solution. Sauf dans des cas de dangers extrêmes pour les travailleurs, c’est-à-dire lorsque le travail met en péril leur vie et leur santé, il est préférable de ne pas boycotter une marque mais plutôt de faire pression pour qu’elle adopte des mesures concrètes qui améliorent sensiblement les conditions des ouvriers. Le boycott pourrait entraîner des fermetures d’usines et des travailleurs sans emploi qui risqueraient d’effectuer des tâches, souvent dangereuses, pour obtenir un peu d’argent (délinquance, prostitution, etc.)
– Pourquoi critiquer les multinationales, alors qu’elles créent des emplois dans des pays du Sud ?
La question à se poser est le type d’emploi créé. Quand un emploi signifie salaire insuffisant pour vivre dignement, temps de travail contraire aux droits fondamentaux des travailleurs, absence de droits syndicaux et de couverture maladie ou maternité, ce n’est pas un emploi c’est de l’exploitation. Le travail dans des conditions dignes est un droit humain fondamental, comme l’énoncent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ou les conventions de l’OIT.
– Pourquoi cibler les marques et distributeurs et non pas les fabricants ?
Les marques et les distributeurs imposent des conditions de fabrication basées sur des délais très courts, des coûts toujours plus bas, et des conditions contractuelles qui font porter tous les risques aux fabricants. En tant que « donneurs d’ordres », ce sont les marques et les distributeurs, qui ont le pouvoir d’imposer ces conditions extrêmes qui se traduisent en bout de chaîne par une pression à la baisse sur les salaires, et des conditions de travail déplorables.
– Que peut faire une multinationale pour améliorer les conditions de travail des ouvriers qui fabriquent les produits qu’elle distribue ?
Les multinationales doivent reconnaître leur responsabilité sociale vis-à-vis de la chaîne de sous-traitance. Chez leurs fournisseurs et sous-traitants elles doivent adopter des pratiques d’achats responsables qui permettent la mise en œuvre de codes de conduite dont l’application doit être ensuite contrôlée et ne doit pas se traduire par des conditions de travail violant les droits fondamentaux des travailleurs. Elles doivent favoriser l’organisation des travailleurs en syndicats dans les usines de production, afin qu’ils puissent négocier collectivement dans l’usine.
– La crise économique n’empêche-t-elle pas d’augmenter les salaires des ouvriers ?
L’éclatement de la crise, quand bien même il est évident qu’elle a des répercussions sur les bénéfices des entreprises, ne change en rien la question de la nécessité d’un salaire vital. Il ne s’agit pas d’une mesure laissée au bon vouloir de l’entreprise, mais bien d’un droit fondamental.
Un salaire permettant aux travailleurs de couvrir leurs besoins de base est une nécessité et un droit fondamental que les multinationales, qui font des profits considérables grâce à un coût du travail extrêmement faible dans ces pays, ont les moyens d’assurer.
– N’est-ce pas aux États de fixer les salaires et de faire respecter les droits des travailleurs ?
Si, mais les États savent que si le coût du travail est trop élevé et la réglementation trop stricte dans leur pays, les multinationales iront se fournir ailleurs. Ces dernières dominent les chaînes d’approvisionnement et leur poids économique leur donne un pouvoir démesuré face à des gouvernements défaillants et parfois corrompus, qui abaissent les salaires et allègent la réglementation pour attirer ces investisseurs étrangers. Les États doivent agir en fixant des salaires justes et en exigeant aux multinationales de garantir des conditions de travail dignes. Elles doivent modifier leurs pratiques d’achat vis-à-vis de leurs fournisseurs et ne pas quitter automatiquement un pays aux premiers signes de réglementation du travail.
– L’augmentation des salaires des ouvriers dans les pays de production ne risque-t-elle pas de faire augmenter les prix pour les consommateurs en France ?
C’est un fait : les consommateurs se sont habitués à des prix très modérés pour leurs vêtements. Il reste que, même si les chiffres sont variables, la part du salaire de l’ouvrier ne représente que 1 à 3% du coût total. En conséquence même un doublement des salaires des ouvriers qui fabriquent ces produits ne se traduirait pas par une hausse sensible du prix payé par le consommateur : pour une chemise de 8 euros, l’ouvrier perçoit 24 centimes, si son salaire doublait la chemise coûterait 8 euros et 24 centimes. Le consommateur remarquera à peine cette augmentation, et ça devrait être aussi le cas pour la marque qui devrait absorber cette augmentation en acceptant de diminuer ses marges.
– N’est-il pas logique que les salaires soient faibles dans des pays où la vie est beaucoup moins chère ?
S’il est vrai que le coût de la vie est moindre dans nombre de pays du Sud, il reste que les salaires qui y sont pratiqués dans l’industrie de l’habillement, des jouets, et des produits de téléphonie sont si bas qu’ils ne permettent pas aux travailleurs de couvrir leurs besoins vitaux et ceux de leur famille (nourriture, eau, logement, accès aux soins, à l’éducation, aux transports, etc.). Les travailleurs devraient recevoir un salaire vital qui leur garantisse non seulement la satisfaction de ces besoins de base, mais aussi l’accès à une protection sociale et un revenu discrétionnaire. Ce salaire doit également prendre en compte le niveau de vie d’autres pans de la population, afin d’assurer aux travailleurs une vie digne, et une place pleinement reconnue dans la société.