Communiqué de presse - 23 avril 2019
6 années après ce qui demeure le pire accident [1] de l’industrie mondiale du textile, le Bangladesh pourrait redevenir « le » pays dangereux pour les travailleurs de l’habillement : l’Accord, signé après l’effondrement de l’immeuble, sur pression de la société civile, pour financer la rénovation des usines, est menacé d’expulsion par la Cour suprême, en entente avec le gouvernement bangladais et la puissante fédération patronale du secteur (BGMEA). Alors que le gouvernement n’est pas en mesure, faute d’avoir bâti une institution solide, d’assurer la sécurité des travailleurs dans cette industrie stratégique, et que l’Accord a constitué la seule véritable évolution durable post-Rana Plaza, ce départ constituerait un recul sans précédent et symbolique dans la lutte pour l’amélioration des droits des travailleurs du textile dans le monde. Cette dernière ne peut plus avancer au seul rythme des drames médiatiques ou de l’indignation citoyenne.
Depuis leur grève massive en décembre 2016, les travailleur-euse-s du secteur font face en outre à l’une des plus importantes répressions par le gouvernement depuis 2010.
6 ans après, les multinationales se fournissant au Bangladesh ont pris leur parti de cette situation : au côté de timides appels à ce que l’Accord, qui constitue une des rares mesures tangibles du respect de leur obligation de vigilance, aucune ne montre de remise en question de son modèle économique, fondé sur le faible coût de la main d‘œuvre. Les mesures prises depuis 2013 sont demeurées cosmétiques. Les marques se cachent derrière des effets d’annonce : annoncer à grand renfort de publicité recycler quelques pourcentages de sa production ne fait pas un modèle économique responsable.
Le Rana Plaza aurait dû pousser les acteurs du secteur à des mesures sans précédent. Force est de constater que, si la prise de conscience citoyenne a connu une véritable évolution, les problèmes persistent voire s’aggravent. Le Rana Plaza s’est effondré 17 ans après le premier scandale ayant touché l’industrie du textile (Nike, en 1996). 17 années de mesures volontaires et d’engagements n’ont bien évidemment pas empêché le Rana Plaza. Elles y ont conduit.
Sans cadre international contraignant, qui permette d’engager la responsabilité d’une multinationale lorsque son activité se traduit par des violations graves des droits humains, il est illusoire d’envisager que l’industrie du textile ne soit plus fondée sur l’exploitation de femmes et d’hommes dans des pays aux législations moins-disantes.
La loi sur le devoir de vigilance, adoptée en France en mars 2017, a constitué une première brèche mondiale dans l’impunité dont jouissent les multinationales ; il est urgent aujourd’hui de l’internationaliser. Depuis 2014, un traité sur les multinationales et les droits humains est en négociation à l’ONU. Alors que l’Union Européenne a récemment confirmé qu’elle suspendait sa participation aux travaux, leurs progrès sont indispensables pour espérer enfin l’accès des victimes – du Rana Plaza, de Chevron, de Bhopal, de tant d’autres – à la justice. La campagne européenne « Des droits pour les peuples, des règles pour les multinationales » qui réunit plus de 200 organisations issues de plus de 20 pays européens, lancée le 22 janvier 2019, poursuit cet objectif. Elle rassemble aujourd’hui plus de 550 000 signataires en Europe.
NOTES AUX REDACTIONS
[1] L’immeuble Rana Plaza, qui abritait 8 usines textiles, s’est effondré le 24 avril 2013 dans la banlieue de Dacca, faisant 1138 morts et plus de 2000 blessés parmi les 5000 ouvriers, essentiellement de jeunes femmes, qui y travaillaient. Parmi les donneurs d’ordre internationaux : Auchan, Benetton, Primark ou Mango.