Le Sénat a adopté jeudi après l’avoir profondément modifiée la proposition de loi du Parti Socialiste contraignant les multinationales à prévenir les atteintes aux droits de l’Homme et à l’environnement de leurs sous-traitants étrangers, inspirée de la catastrophe du Rana Plaza au Bangladesh en 2013.
La majorité sénatoriale de droite a voté seule le texte remanié, la gauche votant contre, à l’exception d’une partie du RDSE (à majorité Parti Radical de Gauche) qui s’est abstenue. Une commission mixte paritaire entre les deux chambres devrait à présent échouer. L’Assemblée aura alors le dernier mot.
L’effondrement du Rana Plaza avait tué 1.138 ouvriers et blessé plus de 2.000 autres, mettant en évidence les conditions de sécurité et de travail déplorables des ateliers travaillant pour des sous-traitants de marques occidentales (Benetton, Camaïeu, etc).
Le texte vise à instaurer, pour les sociétés françaises employant plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 salariés dans le monde, l’obligation d’élaborer et de mettre en oeuvre un plan de vigilance destiné à prévenir les risques d’atteinte aux droits de l’homme, de dommages corporels, environnementaux et sanitaires, ainsi que de corruption qui pourraient résulter de leurs activités, et de celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants.
Le Sénat avait rejeté le texte en première lecture, sa commission des lois estimant alors que la question devait être traitée à l’échelle européenne.
En deuxième lecture, le Sénat l’a modifié afin de le rapprocher du texte de la directive européenne relative à la publication d’informations non financières par les grandes entreprises.
"S’il est peu probable que l’adoption en France d’une telle législation suffise à améliorer la situation sociale et environnementale des pays en développement, elle perturberait profondément le tissu économique français", a estimé le rapporteur Christophe-André Frassa (Les Républicains).
Pour lui, "les obligations doivent peser sur toutes les entreprises européennes pour éviter les distorsions de concurrence".
"Vous avez choisi en première lecture de voter contre ce texte", a dit Jean-Pierre Sueur (Parti Socialiste). "Cette fois, vous avez adopté une autre méthode, plus subtile, qui consiste à l’édulcorer", a-t-il ajouté. "Pourquoi entraver les entreprises par des normes stupides ? Elles partiront toutes et il ne restera que des chômeurs", a affirmé Serge Dassault (Les Républicains). "Arrêtez d’emmerder les entreprises", a-t-il lancé à l’adresse de la gauche.
La proposition de loi "serait totalement inutile si elle était votée en l’état", a réagi dans un communiqué le collectif Ethique sur l’étiquette (Amnesty, CCFD, Les Amis de la terre, Sherpa, Actionaid...), pour qui le premier texte marquait "un pas historique vers l’obligation d’une prise en compte des droits humains par les entreprises multinationales".
Les associations et organisations non-gouvernementales (ONG) appellent "désormais le gouvernement à sauvegarder l’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte" et rédiger avant fin décembre le décret nécessaire "faute de quoi, les promesses faites en la matière lors de la campagne présidentielle de 2012 resteront lettre morte".